Entretiens (extraits)
(réalisés par Laurence CARON en 2002)
« Dans mes jeux de bascule, je me suis intéressé au regard que l'on porte sur les choses selon la distance que l'on prend avec elles.
Tu vois ce portrait de
femme, si tu la regardes bien, tu verras apparaître des
écritures. Et c'est l'instant où ton regard va basculer
du dessin à la calligraphie qui est intéressant. Tu
essaieras peut être de lire quelque chose et tu t'apercevras
très vite que la plupart des phrases ne sont que des formes
qui renvoient au dessin de l'écriture mais qu'elles sont
dénuées de sens.Tu vois ces lettres arabes par contre?
Et bien, c'est ce qui est écrit sur les tubes de harrissa.
C'est la forme qui prend de l'importance, et non le sens! Certaines
autres phrases sont des tags que j'ai retranscris.
-Cela représente énormément de travail, et beaucoup de précision aussi!
-Oui, j'y ai passé
du temps! Mais le temps fait partie intégrante du travail.
Entre l'étude de différentes formes graphologiques,
calligraphiques, culturelles ou ethniques d'écritures et la
réalisations de tableaux, le travail à le temps de
mûrir!!! De plus, je travaille parfois sur des séries,
là, par exemple, tu as le « Che »
Pour ces autres travaux,
qui sont antérieurs aux portraits, il s'agit d'une étude
qui privilégie la forme au fond. Je me suis amusé à
épurer le dessin d'écritures jusqu'à obtenir
des formes graphologiques dé-codifiées. N'importe qui
peut y reconnaître sa propre écriture et y lire des mots
dans ces formes qui ressemblent tant à des lettres connues. Il
y a autant d'interprétations qu'il y a de récepteurs!
Par exemple, que vois-tu
ici? », dit-il en indiquant une toile noire couverte
d'inscriptions étranges rouges.
J'essaie de distinguer
un mot à l'endroit même où il a mis son doigt. Et
soudain, sans hésiter, je réponds «râle».
Son regard amusé me fait l'effet d'être devant un psy
qui a réussi à travers une expérience à
vous déshabiller à votre insu. Je prends aussitôt
conscience du lapsus, de l'interaction dont j'ai été
témoin et je lui en fais part.
Je ressens une sensation étrange. Au moment où je croyais observer l'oeuvre, c'est l'oeuvre qui m'a observée! Il sourit de plus belle et je comprends mieux le plaisir qu'il ressent à regarder évoluer ses oeuvres dans la rencontre infinie de l'autre comme si, au delà de la création, elles possédaient leur vie expérimentale propre. Il me répond simplement « Tu comprends pourquoi certains de ces jeux d'écriture ont été réalisés sur des miroirs! »