Projet d'installation pour une exposition qui a été annulée
Marquant radicalement la distance avec la fonctionnalité de l’espace, le travail de Michael BAIGNEAUX instaure une sorte d’incongruité qui ne se manifeste que pour provoquer le questionnement. Il y a dans le concept d’installation la volonté de se mesurer à l’espace, d’en interroger la spécificité même. L’artiste emprunte ici un chemin de traverse donnant à l’œuvre une dimension de « contre pied-de-nez » ; il délaisse les murs et cimaises (qui ont été retirées) pour investir le plan de la salle ainsi que les montants de fenêtres, comme pour entrer en résistance contre un dogme de la présentation. Mais son irrévérence met en valeur le lieu même, plus que toute autre exposition au préalable. La rupture est consommée. Le caractère spartiate de la proposition assume cette volonté de ne pas céder à la séduction facile du « beau travail artistique » offrant une transgression de la muséologie du lieu pour mieux mettre en lumière sa spécificité. Car c’est de cela qu’il s’agit ; de la relation qui se crée entre une œuvre et le lieu de présentation.
"Non Conforme" est une installation in situ qui fait écho à un édito de Jean Marc Lepachelet dans la lettre des adhérents vantant le 215 (galerie d’exposition) et son apport en tant que vitrine pour la maison de la culture. Cette fenêtre sur le dehors, ce rôle de vitrine, qui n’a pour but que d’attirer le passant et lui faire pénétrer le lieu, est victime d’une perversion, car rien ici n’est visible depuis l’extérieur. L’espace semble vide malgré la signalétique qui indique qu’il y a bien une exposition d’arts plastiques. La vitrine tient-elle encore son rôle avec cette dissonance ? Toujours est-il qu’il est plus facile pour quelqu’un qui est déjà dans les murs de se rendre compte de la supercherie. L’ironie évidente du titre de l’exposition se dévoile. Elle fait partie intégrante de l’installation pour mieux mettre en avant son sens profond. Elle agit comme un pendant, posant la question de la conformité d’utilisation de l’espace de présentation. S’ajoute à cela le choix des matériaux utilisés, leur mise en œuvre. Michaël BAIGNEAUX utilise un bâche plastique d’atelier maculée de taches de peinture, des lattes de bois d’un sommier, d’anciens cartons d’invitation du 215. Il crée avec cela un effet de temps de retard, comme si quelque chose était passé et déjà fini, instaurant un rapport ambigu avec le spectateur.
Un second plan de lecture s’offre alors à ce dernier. La galerie est le lieu d’une distorsion temporelle entre le présent du spectateur et le passé de l’artiste. La question de survie de l’artiste (par là même la question de survie de l’art) se pose, et cette notion de survie contient irrémédiablement l’idée de mort. Le vide créé par l’œuvre, le temps de retard imposé au spectateur instaure un sentiment d’absence, de disparition ; les lattes de bois sont l’incarnation d’un gisant. L’artiste s’efface, disparait, laissant le spectateur dans son passé car une exposition n’est que l’incarnation d’une idée créatrice passée d’un artiste ; lui est dans un ailleurs, déjà dans une projection future , donc avec un temps d’avance, c’est cela son présent. Oui c’est bel et bien de cela dont il s’agit : de ce rapport entre l’art et le lieu de présentation, théâtre du révolu.